La chronique N° 6 de Nicole Esterolle
© Jean-Alain Corre , « Psychobuilding » - 2009 Gingembre, vis, citron, réflecteur
Un schtroumpf émergent est un jeune plasticien, frais émoulu le plus souvent, d’une école des Beaux-arts, et qui, dument formaté, commence à montrer ses œuvres dans les circuits d’expositions institutionnels installés pour cela. Ses œuvres sont du type de celles que l’on voit sur les images jointes : La première de Jean-Alain Corre est faite de racines de gingembre transpercées de pointes, la seconde de Elena Bajo est faite de châssis usagés imbriqués les uns dans les autres et liès entre eux avec du scotch. La première a été exposée à la Galerie Chez Néon à Lyon, la deuxième est actuellement visible à la galerie La Salle de Bains à Lyon et sur le site www.lasalledebains.net.
© Elena Bajo. « Il en est de même pour Is music the essence of words?
I wrote messages but received no reply (2010) Crédit photo: Eric Tabuki
Le schtroumpf émergent, c’est un peu comme ces jeunes talibans-étudiants en théologie sortant des écoles coraniques, parfaitement analphabètes mais redoutablement armés pour défendre leur ignorance. Le Schtroumpf émergent ne sait pas dessiner, ni peindre, (il bricole tout juste comme on le voit sur les 2 exemples fournis), il est parfaitement inculte en histoire de l’art, hors celle qui concerne ses référents, il est puissamment armé lui aussi en arguments rhétoriques d’une extrême sophistication lui permettant de justifier, notamment la sus-dite imbrication de chassis (voir en note n° 1 le texte accompagnant cette oeuvre), et de fusiller les mécréants qui doutent de la pertinence ses inepties. Il est, lui aussi, un vrai révolutionnaire, un modeste et courageux combattant pour une société meilleure.(« Discrétion / détermination » : tel est le titre en effet de l’actuelle exposition à la Salle de Bains)
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1- Ces peintures décharnées dont il ne reste que des châssis imbriqués les uns dans les autres sont maintenus de façon précaire par de l'adhésif. Vandalisme puis reconstruction primaire, ces gestes érigent une structure ou sculpture ajourée, faites de peintures à travers lesquelles il est de nouveau possible de voir.
Le référent historique, c’est Marcel Duchamp, le géniteur, la reine -mère porteuse en quelque sorte, la matrice initiale … à son insu et contre son gré d’ailleurs, car si elle s’était doutée qu’elle engendrerait une telle descendance, il est probable qu’elle eût éviter de faire les galipettes conceptuelles qu’on connaît.
Les schtroumpf –référents nationaux. On peut en citer des dizaines, des centaines autour de Daniel Buren (référent central), de Sarkis, de Philippe Cazal, de Claude Levèque, etc., j’en passe et des meilleurs, enfin de tous ceux qui donnent matière aux commentateurs officiels, occupent les lieux officiels et dont les œuvres ont été abondamment achetées par les FRAC notamment.
Les Schtroumpfs –référents internationaux. C’est Damien Hirst avec ses grosses bêtes dans le formol, Wim Delvoye avec ses cochons tatoués, Jeff Koons et ses homards supendus au Château de Versailles, Maurizzio Cattelan et son cheval à la tête enfoncée verticalement dans un mur de la Fondation Pinault à Venise. Autant de produits à haute valeur spéculative tant intellectuelle que financière, puisque c’est à ce niveau qu’Art d’Etat et Business-Art se rejoignent en une commune apothéose. Ces schtroumpfs internationaux, compte tenu des prix pharamineux atteints par leurs œuvres, sont , pour les petits schtroumpfs de province, des guides spirituels , des repères mythiques, dans leur quête de l’inepte à forte valeur ajoutée.
Le schtroumpf –référent régional. C’est par exemple l’artiste-professeur-designer-curator-galeriste et créateur de la dite Salle de Bains (qui a couté 268000 € d’installation il y a 3 ans et que quelques facétieux de la rue Burdeau ont rebaptisée « le Kabinet de toilette »)… Un schtroumpf très polyvalent donc et « hautement performatif », puisqu’il est à la fois 1-professeur en école d’art, 2-curator d’expos (on lui doit les expositions « Freaks » et « N’importe quoi » au MAC de Lyon), 3-artiste plasticien (on lui doit le fameux « kiosque » -acquis par quelque FRAC – qui est une sorte de grand aquarium en plastique où un groupe de musique peut jouer sans que personne ne l’entende), 4- Co-associé dans la galerie privée Triple V à Dijon… Des polyvalents régionaux comme ça, qui savent saisir et réunir toutes les opportunités, il y en a des tas en France.
Tout cela peut sembler risible, mais l’est beaucoup moins quand on sait ce que cela coûte à l’État et aux collectivité locales, c’est à dire au contribuable français. Ainsi, pour la ville de Lyon, pas moins de quatre lieux sont consacrés à la « mise en visibilité » de cette production « émergente » : La BF 15, La Salle de Bain, Chez Néon et Le Stand, subventionnés par la Ville, la région, et la DRAC (voir tableau ci-dessous).
| Année 2007 | Année 2008 | ||||
Structures | Ville | Région | DRAC | Ville | Région | DRAC |
Néon | 9 000 | 7 000 | ? | 9 000 | 15 000 | ? |
Salle de bains | 20 000 | 23 000 | ? | 29 000 | 35 000 | ? |
BF15 | 133 000 | 27 350 | ? | 52 000 | 33 600 | ? |
Le Stand (Worx) | 17 000 | 4 000 | ? | 14 000 | 8 000 | ? |
Notes
268.000 € de travaux d’installation de la Salle de Bains
La DRAC ne diffuse pas les subventions qu’elle distribue avec l’argent public
Les subventions 2009-2010 ne sont pas encore disponibles
Soit environ une moyenne annuelle de 250 000 € pour l’entretien de ces quatre écuries de Schtroumpfs indispensables, selon Mr le Maire, au rayonnement culturel de la ville et de la région…
Sachant maintenant que ces quatre lieux, hors les quarante mêmes personnes de leur réseau qui tournent dans les vernissages, n’accueillent quasiment aucun public (et d’ailleurs s’en foutent totalement), admettez, Mesdames et Messieurs que cela fait cher le coup d’œil à 3 bouts de gingembre piqués de pointes et à un entremêlement de châssis vides…
Paroles de Schtroumpfs
(florilège de textes extraits au hasard des sites des galeries subventionnées Chez Néon (www.chezneon.fr), Salle de Bains (www.lasalledebains.net), BF 15 (www.bf15.org), Le Stand (pas de site)
Jean-Alain Corre Jean-Alain Corre développe un «feuilleton-exposition» intitulé «Johnny», qui est un homme lambda, sorte de double fictionnel de l’artiste. Nous, spectateurs, ne le croisons jamais vraiment, en revanche chacune des pièces et des expositions de l’artiste nous entraînent dans les errances mentales de ce personnage.
Cédric Alby L’inscription du mot BAU répété, sur la sculpture même, vient ponctuer sa progression, discrètement, telle une image graphique et sonore fortement évocatrice…. la sculpture est un trou construit : un terrier. Elle est une écriture dans l’espace, une chose immatérielle, qui montre finalement plus son image que sa réalité.
Francis Alÿs L’ensemble des œuvres déploie un espace d’errance physique et mental, désynchronisé du temps réel. L'ordinaire y est transformé et de possibles narrations s'entrouvrent aux spectateurs.
Jean-Daniel Berclaz A réalisé à Lyon deux « vernissages de points de vue » : l’un sous le pont Kirchner, par un soir de pluie ; l’autre sur la passerelle des quatre vents. Ces moments d’échange suffisent à désigner le paysage et font du monde un ready-made que l’artiste signe.
Gianni Motti L’œuvre de Gianni Motti présentée à la Salle de bains consiste en une série de plaques commémoratives dédiées aux 759 prisonniers du camp de Guantanamo, à Cuba.
Magali Reus L’artiste décrit ces hommes comme « attendant des instructions » et l’on pourrait donc dire que, comme ces hommes, les sculptures de Background, toutes génériques, attendent elles aussi des instructions. l’artiste ironise sur la nature militaire de l’art minimal, son austérité formelle et son devoir de réserve.
Olivier Mosset peint une série de toiles blanches où figure, en rouge, la seule lettre « A » majuscule. Il faut bien commencer quelque part, et le début de l'alphabet semble tout indiqué. Faux départ, toutefois, puisque presque simultanément, il fait une autre peinture avec les mots « RIP » et une autre avec les mots « THE END », comme pour boucler le parcours au moment-même où il l'entamait.
Tatham et O'Sullivan L'expression perplexe de ses sculptures parodie la théâtralité des sculptures minimalistes, autant qu'elle fait référence à la position du visiteur. Et l’installation semble de plus en plus conceptuelle à mesure qu’on la regarde. En effet, le soi-disant côté divertissant et décoratif annoncé par le titre résiste peu de temps aux questions. Les réponses sont évidemment à chercher dans la définition du truc (thingamajig) ou de la chose (thing), qui pourrait être l'histoire universelle des formes, l'histoire de la sculpture post-moderne ou simplement l'expérience banale, mais culturellement fondamentale que nous vivons au travers des objets.
Anthea Hamilton Spaghetti Hoops est un plat traditionnel qui fait partie de la vie quotidienne britannique et c'est aussi le titre choisi par Anthea Hamilton pour sa première exposition personnelle en France. Dérivé des pâtes italiennes, le spa- ghetti hoops peut être associé à la bonne qualité des oliviers baignés par soleil…Le all-over de pâtes sur les murs de la salle principale fonctionne comme une teinte homogène ou un fond commun à tous les objets rassemblés.
Sylvain Rousseau Pour la Salle de Bains, Sylvain Rousseau a imaginé une exposition qu’il décrit comme un « scénario » dont chaque œuvre est un personnage. On y trouve, par ordre d’apparition, un perroquet (Le Grand Cacatoès Blanc, sculpture sonore), des cactus aux feuilles dessinées de croquis d'œuvres (Maybe), un grand plafonnier au néon, des posters (Maybe, Panoramic View of a Daily Walker, XXI) et des petites planches de bois en perspective, posées au sol …
Claire Healy & Sean Cordeiro développent un travail sculptural à travers une variété de médias. En explorant les matériaux de notre monde contemporain, ils soulèvent des questions sociopolitiques, comme la mondialisation, la culture médiatique, la consommation ou la propriété.
Pour leur première exposition en France, les artistes reproduisent à l'aide de briques de Lego le relief d'une région de Chine connue sous le nom de «Zone 51».
Marc Chopy Le travail pictural de Marc Chopy interroge depuis de nombreuses années le rapport du plan au volume, dans ce qu’il peut avoir d’inconciliable. Il s’est concentré depuis une dizaine d’années autour des “basculeurs” : « représentations en perspective de volumes géométriques simples, produisant des effets de bascule de l’espace selon les positions du spectateur. »
Anita Molinero Anita compose une archéologie de notre quotidien à partir d’objets qui nous entourent et tout particulièrement d’éléments en plastique qu’elle fond et déforme, leur redonnant ainsi une nouvelle présence esthétique.(Elle crame surtout des poubelles)
Christophe BERDAGUER - Marie PÉJUS Plus qu’une exposition, un service public offert à la ville : un lieu d'enregistrement et de stockage de nos traumas. Toute personne ayant subit un choc traumatique est invitée à "ranger" cet épisode insurmontable psychologiquement, selon un protocole fourni par la médecine. L’exposition propose un subtil équilibre entre la mise en œuvre de ce protocole que l’on peut réellement suivre (mise en condition au rez-de-chaussée, opération de transfert à l’étage, puis stockage des « traumas » collectés) et l’œuvre sujette elle-même à une nouvelle interprétation selon le décor, la mise en formes, en sons et en symboles.
Enfin, pour apprendre à bien causer l’art contemporain, voici , Mesdames et Messieurs, un rendez-vous à ne pas manquer à Toulouse: Les journées professionnelles du laboratoire des médiation d’Art Contemporain. C’est un Espace de formation, d’expérimentation, d’échanges et de débats autour de la médiation en art contemporain, le LMAC-MP (Laboratoire des Médiations en Art Contemporain de Midi-Pyrénées) rassemble une trentaine de professionnels de la médiation issus de centres d’art, musées, associations, fondations ou services culturels de collectivités locales. Ce laboratoire a pour origine une formation continue destinée aux médiateurs en art contemporain financée par la DRAC et le Conseil Régional. Après trois années de formation aux fondamentaux de la médiation, le réseau s’est associé à Jean-Christophe Vilatte, issu du laboratoire de recherche en communication de l’Université d’Avignon, pour aborder des questions relatives à l’évaluation des actions et des outils de médiation. Se sont ainsi constitués des groupes de travail thématiques autonomes qui se réunissent à intervalles réguliers entre les deux sessions plénières annuelles. L’un d’entre eux travaille sur des questions relatives à la médiation écrite.
Les 30/11/2010 et 01/12/2010 aux Abattoirs à Toulouse
Inscriptions 15 € : contact@lmac-mp.fr