La Chronique n° 19 de Nicole Esterolle
Picasso disait : « je ne cherche pas, je trouve » , autrement dit « je ne me pose pas de questions, je fais ». Un autre peintre très connu répondait à qui l’interrogeait sur le pourquoi de sa peinture : « demandez-vous à un pommier pourquoi il fait des pommes ? Non ? Et bien ne me demandez pas à moi pourquoi je peins», parce qu’en effet, si le pommier commence à se se poser des questions sur son droit à pommer, il devient vite malade , dépressif et irrémédiablement stérile.
Et c’est ainsi que nous assistons aujourd’hui, dans l’art dit contemporain, à la disparition progressive du faire au profit du questionnement sur le faire , à l’exemple de Claude Rutault (voir image jointe) , artiste majeur de la scène française, qui peint des monochromes de la couleur des murs où ils sont accrochés, et dont « l’enjeu du travail est celui d’un questionnement des conditions d’apparition de la peinture dans l’espace social, beaucoup plus que de déterminer un protocole de création des œuvres à l’aide de concepts. »
Aujourd’hui, on ne peint donc plus, on convoque, on interpelle et on questionne la peinture dans ses rapports avec à peu près tout. On interroge l’art à fond, on fait ce que Jean-Philippe Domecq appelle de l’art sur l’art, on cérébralise au maximum. Aujourd’hui, les neurones du cerveau des décideurs d’art s’interrogent eux-mêmes sur leur rôle là-dedans , ce qui provoque dans certains cas de questionnite aigue, une liquéfaction de la moelle et du tissu cervical dont le symptôme principal est une diarrhée verbale du type de celle dont était affecté le directeur de la Biennale de Lyon (voir ma précédente chronique), et dont sont affectés un grand nombre de chroniqueurs d’art actuels.
Aujourd’hui, la question branchée chez les nouveaux critiques à cheveux jaunes est celle-ci : « pourquoi y a-t-il de l’art plutôt que rien ? »…Ben oui !.. La question n’ est pas nouvelle, mais elle fait fureur dans le milieu, car ce rien au lieu de l’art leur permet de développer en boucle une méta-interrogation tirebouchonnée sur l’absence d’objet de cette même interrogation et donner ainsi libre cours à leur talent de sophistes mondains . D’où par exemple cette exposition sur le vide, organisée au Centre Pompidou en 2009, par le schtroumpf en chef Laurent Lebon, actuel directeur du Pompidou bis à Metz, occupant 5 immenses salles avec strictement rien dedans (sauf un type qui avait pissé dans un coin et que ça puait très fort), mais assortie d’un catalogue de 500 pages de commentaires et de questionnements sans objet identifiable, illisibles et que personne n’a d’ailleurs lues.
Un ample discours sur le non-faire, le non-sens et le non-contenu artistique remplace donc le faire déclaré désormais salissant, puant , rural et ringard. Le déconstruit questionne la validité du construit. La torture mentale remplace le plaisir esthétique. Le critique schtroumpf ne regarde désormais plus la peinture que par les oreilles ou les trous de nez . Anita Molinero, la crameuse de poubelles, remplace Germaine Richier. Grand Corps Malade remplace Bob Dylan. La subvention devient un soin palliatif pour une nécrose artistique maintenue sous perfusion d’argent public. Le douloureux questionnement existentiel du critique ou du fonctionnaire de l’art prime sur le travail du vrai créateur, etc… et l’art contemporain devient le lieu d’une pandémie d’auto-fellationnite aigue ou de masturbationnite questionnatoire fermée sur elle-même, et où se multiplient exponentiellement ces petits branleurs de l’interrogation à tout va, que sont nos schtroumpfs émergents sur la scène internationale…
Les schtroumpfs questionnent à tout va :
J’ai passé une petite demi-heure sur quelques sites internet de FRAC et autres lieux de « l’insondable connerie culturelle subventionnée » (comme dit l’un de mes correspondants), pour vous cueillir au hasard et vous copier-coller, à titre de preuve et illustration de ce que vient de dire, ces quelques petits extraits où il est question …de questionnements sur l’art.
Claude Rutault (ci-contre) L’enjeu de son travail est donc celui d’un questionnement des conditions d’apparition de la peinture dans l’espace social, beaucoup plus que de déterminer un protocole de création des œuvres à l’aide de concepts.
Jordi Colomer Son parti pris absurde vient très directement interroger la valeur que l’on doit prêter à cette « manière » de faire, mais, plus avant, il questionne avec acuité l’évaluation esthétique – et donc sociale et psychologique – de ce type de « monuments » dans notre environnement.
Victoria Klotz Explore la cohabitation entre l’être et son écosystème, questionne la sauvagerie des comportements sociaux. In extenso Ces artistes interrogent les notions de traversée, de contamination, d’interaction ou d’illusion, qui semblent construites sur des zones d’ombre, laissant planer autour d’elles le mystère de leur conception.
Kaz Oshiro Dotées a priori d’une faible valeur symbolique, ses œuvres se révèlent peu à peu d’une complexité telle qu’elles finissent à obliger les spectateurs à se poser les questions de la représentation et de sa mise en scène.
Eric Hattan Qu’il s’agisse de l’espace urbain ou de celui d’un centre d’art, chaque situation est l’occasion d’un déplacement, d’un décentrement du regard, et d’une mise en question du sens donné.
Exposition « Coup d’éclat » Ces artistes viennent interroger les mutations des structures de pouvoir qui conditionnent en grande partie notre quotidien.
Clemence Torres Son exposition se développe autour de la perception du lieu, son appréhension et les mécanismes et instruments de mesure permettant de le saisir - distances, échelles, proportions -. Elle interroge parallèlement les relations entre les individus, les rapports de force, de rapprochement et d’interaction des uns avec les autres.
Dominique Blaise Son travail in situ a la capacité de métamorphoser la perception commune de l’espace . En permettant au spectateur de parcourir ce dispositif menaçant, il questionne les espaces de narration issus du théâtre et de l’exposition artistique.
Claire Healy & Sean Cordeiro Ils développent un travail sculptural à travers une variété de médias. En explorant les matériaux de notre monde contemporain, ils soulèvent des questions sociopolitiques, comme la mondialisation, la culture médiatique, la consommation ou la propriété.
Angela Detanico et Rafael Lain Ils nous invitent à bousculer nos repères et à nous interroger sur les systèmes qui organisent notre lecture du monde. Meriem Djahnit le travail de cette artiste interroge l’aspect tangible et aléatoire de notre position dans le monde, analyse le caractère transitoire de notre condition en tant qu’être physique, social et psychologique.
Nicolas Fournier Siège de l’intimité et de la mécanique du vivant, le corps demeure pour les artistes contemporains le lieu d’interrogations existentielles que réactivent les mutations dues aux technologies du vivant.
Jean François Gavoty Le vivant et le construit, le réel et le virtuel, le pérenne et le temporaire... sont des interrogations liées à la conception de tout projet urbain.
Gonzalo Lebrija Questionne le décalage entre les mégas récits du progrès liés au modernisme et notre existence contemporaine individuelle.
Laurent Perbos Toujours confrontées aux problématiques de formes, les productions de Laurent Perbos questionnent les potentialités sensibles et poétiques des objets issus de notre quotidien.
Laurent Pernel La question est : alors que des impératifs très concrets liés aux travaux de l’espace d’exposition, ordonnancent le temps et l’espace, et remplissent le volume d’une sonorité toute entière constructive, comment faire naitre puis développer, au sein d’un chantier, un travail artistique qui demande du temps, du doute et de l'errement ?
Arnaud Pirou Pour sa première exposition personnelle, il traite des grandes chaînes de fast food, dans une exposition très contextuelle qui pervertit les symboles, et joue avec les signes de la ville. C’est un prétexte pour convoquer des questions sociales et culturelles.
Raster Noton Cette exposition montre le caractère résolument hybride de cette plate-forme de création, tout en questionnant la position de l’artiste dans l’interface de l’acte individuel et de son inscription au sein du collectif.
Mathilde du Sordet Les sculptures de Mathilde du Sordet ont été conçues spécifiquement pour cette exposition de groupe questionnant les notions de territoire et de déplacement.
Yann Toma Le travail de Yann Toma, structuré autour de la société Ouest Lumière, questionne les messages et leur transmission par la mise en œuvre de systèmes parallèles.. Le lieu d’exposition devient le centre multi-modal d’un trafic quotidien de pigeons voyageurs porteurs de dépêches AFP. Chaque jour, ces dernières sont transformées en interrogations.
Bernard Bazile Des mélanges de matières et d’images industrielles parfaitement maîtrisés interrogeant en permanence la question du goût et celle de l’autorité.
Knut Åsdam réalise des films et des installations qui interrogent notre degré de conditionnement par l’espace urbain et nous incitent à le vivre de manière plus consciente.
Basserode L’œuvre de Basserode se présente, depuis le début des années 1990, comme un questionnement autour des notions de « nature » et de « culture » et sur les conventions qui sont attachées à l’une et l’autre dans les représentations artistiques modernes et contemporaines.
Carla Arocha Toutes interrogent la perception de l’espace dans lequel nous nous trouvons. Car l’espace est le matériau de prédilection de l’artiste. Ses œuvres l’intègrent et le transforment.
Hubert Duprat L’œuvre d’Hubert Duprat prend sa source dans un questionnement critique des modalités de la création des objets d’art.
Vous pouvez par ailleurs suivre l’actualité toujours passionnante du schtoumpf émergent sur la scène artistique internationale en allant sur le site : www.schtroumpf-emergent.com. Ce site vient d’être remodelé pour mieux accueillir vos réactions et commentaires. (Cette chronique est envoyée régulièrement à 9000 chroniqueurs, diffuseurs d’art et décideurs institutionnels en France)