Ouvrir son reg-art
« Déconcertant, dérangeant, scandaleux pour certains, innovant, inventif pour d’autres, ce jeu est bien peu de chose comparé à ce que le monde dans son organisation actuelle est capable d’engendrer. Quoi que fassent les artistes contemporains, leurs œuvres les plus incongrues, les plus provocantes et en apparence les plus barbares ne sont guère en mesure de concurrencer en atrocité et en épisodes sanglants le réel tel que nous le renvoie quotidiennement son écho médiatique et électronique : victimes déchiquetés par les attentas, otages suppliciés, prisonniers torturés, violés, égorgés ! » [1]
Depuis quelques semaines tous nos lecteurs ont certainement remarqué la publication de la chronique de Nicole Esterolle, parce qu'Actuartlyon est un site ouvert à tous ceux qui désirent s'exprimer. Le rôle d'Actuartlyon est de parler d'art et de poser les bonnes questions, ce qui nous fait dire à Nicole que ces deux chroniques publiées ne parlent pas d'art, mais de tous ce qui tourne autour de l'art aujourd'hui - argent, médiatisation et politique - même si ces réflexions émergent de réactions de bon sens.
Les artistes n'ont pas attendu le XXIe siècle pour transgresser les normes, pulvériser les ordres établis moraux, religieux ou politiques, déstabiliser les codes en vigueur, brouiller astucieusement les signes, frôler la réalité par glissements et dérives. A chaque époque, son scandale. De Vénus de Willendorf à Ben Vautier les artistes ont de tout temps cherché à affirmer leur liberté de pensée et d'expression, mais chaque transgression est à l'image de sa contemporanéité.
L'art, témoin de l'humanité, est à l'image de son temps, de sa civilisation, car il n'y a pas de civilisation sans art. Et quel serait l'art de la notre, au début du XXIe siècle? Des guerres à tout va, des traders qui gagnent en une seconde ce que toute la population d'Haïti aura mis un an à gagner, de l'esclavage social, du racisme mal dissimulé, de la violence gratuite...
Critiquer l'art contemporain ne sert à rien, puisqu'il ne se définit que par rapport à la temporalité: l'art d'aujourd'hui, l'art de maintenant. Mais aujourd'hui c'est déjà hier! La parole meurt de son écoute, l'art contemporain meurt de son existence. La querelle de l'art contemporain a déjà fait son tribunal dans les années '80, où l'on a parlé plus de politique politicienne que d'oeuvres contemporaines. Le vain acharnement à établir une esthétique contemporaine, à faire rentrer cet art déroutant et éclectique dans des concepts explicatifs s'est heurté violemment à un magnifique chaos subversif, transgressif, querelleur et vivant, à travers tous ce qu'il dégage comme folie.
Aujourd'hui l'artiste ne peut plus se contenter de réfléchir la surface du monde. Munch le disait en 1889, par rapport à la peinture de son époque: "... on ne doit plus peindre des intérieurs, des gens qui lisent et des femmes qui font du tricot, mais des créatures vivantes qui respirent et sentent, souffrent et aiment... les gens comprendront qu'il y a quelque chose de sacré et enlèveront leur chapeau comme dans une église."
Partie physique indissociable de son oeuvre, l'artiste contemporain nous montre ce que nous avons oublié ou que nous refusons de voir et d'entendre, dans ce monde à feu et à sang, par tous les moyens. Le fait que ses détracteurs en parlent, n'est-ce pas déjà une victoire? L'art contemporain ne serait-il pas cet art absolu, cet art total qui réunit tout le système des arts, de la peinture à la danse et de l'architecture au cinéma, qui engloutit tout sur son passage - art, artiste, spectateur?
va suivre...
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[1] M. Jimenez