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QUESTIONS d'ACTUART

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31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 11:02

La chronique n° 35 de Nicole Esterolle

Une image très odorante

 

Madame la Ministre,

01-Au-Muse-ue-d-Unterlinden-.jpegJe vous joins cette image qui est parue dans le Monde du 13 10 2012, pour accompagner un article intitulé « l’art n’a pas d’odeur »… C’est une image qui pourrait en effet figurer en couverture du dossier brûlant intitulé Art Contemporain , que vous ont transmis vos prédécesseurs : un paquet-cadeau du genre patate chaude et très malodorante…  

 

Alors, que voit–on sur cette image ?

    1 - Le jeune Adel Abdessmed, artiste récemment « émergé » sur la scène des grands produits artistico-financiers internationaux. Un modèle pour tous les petits artistes « émergents » frais émoulus des écoles de formatage artistique et perfusés à l’argent public. Une fierté nationale, que l’institutionalité que vous dirigez, (mais qui est en fait aux ordres des grandes galeries et collectionneurs milliardaires) vient d’honorer comme elle le mérite, en lui organisant une rétrospective au Centre Pompidou. Cette exposition s’ouvre avec une croupe de cheval émettant son inévitable pet plus ou moins puant. Il y a aussi la video d’un petit cochon qui ne sent pas non plus l’eau de Cologne en train de téter goulument le sein d’une femme voilée : une stigmatisation blasphématoire de la race porcine, avec en perspective un scandale mondial qui va bien sûr doubler la cote desœuvres du dit Abdessemed. Parmi celles-ci on notera une sculpture de 3 mètres de haut, en résine noire, figurant exactement Zinédine Zidane administrant son fameux « coup de boule » au méchant italien. Cette œuvre majeure orne l’entrée du centre Beaubourg. On remarquera aussi un squelette en plastique de diplodocus de 25m de long, un Boing 707 transformé en hamburger, une vidéo d’un serpent dévorant une grenouille et celle d’un couple forniquant parmi la foule d’une sortie de messe, etc. Autant d’œuvres dont la saveur et la forte odeur de contemporanéité artistique sont aisément détectables par les narines expertes des agents de votre ministère en étroite liaison olfactive avec les grands marchands d’art.

 

    4-François Pinault, le collectionneur milliardaire bien connu, 5e fortune mondiale, l’homme le plus riche de France et qui , pour cela , est reconnu comme le meilleur expert français en art contemporain. Un art, qui, comme tous les produits de luxe dont il a fait sa spécialité, voit sa valeur boursière flamber à mesure que les gens s’appauvrissent, que les artistes s’inscrivent au RSA, que les galeries prospectives ferment et que la récession économique s’installe. Grand prédateur cynique devant l’Eternel, il sait, à travers des artistes tels qu’Abdessemed, transmuter l’angoisse existentielle, la violence, la souffrance sociale, le questionnement sociétal en produits financiers à haute valeur spéculative… Un recyclage en boucle, parfaitement vicieux, qui a obtenu l’agrément des Ministres de la Culture qui vous on précédée, puisque l’un d’eux , Jean-Jacques Aillagon, fut son dévoué serviteur à la direction de sa Fondation Vénitienne et a mis ensuite à sa disposition le Château de Versailles pour valoriser un peu plus ses produits tels que Koons et Murakami. Je vous conseille d’ailleurs de rester en bons termes avec François Pinault, qui pourra vous procurer, comme pour Aillagon, quand vous ne serez plus ministre, un bon job dans ses entreprises. Mais je doute pas qu’il déjà content de vous, quand il vous voit présider la remise du Prix Marcel Duchamp (voir photo jointe) , décerné par l’ADIAF, qui est une association de riches collectionneurs dont le but est de fabriquer et valoriser les nouveaux titres artistico-financiers qu’ils ont créés et possèdent. Je ne doute pas non plus que vous ayez apprécié à sa juste valeur l’œuvre lauréate du couple Dewar et Gicquel, artistes qui « adorent faire voler en éclats le répertoire usuel des thèmes de la sculpture. ils manifestent une prédilection pour le kitsch et le grotesque à la limite du mauvais goût » : une sculpture toute noire, longue de près de deux mètres, représentant un plongeur avec ses palmes et qui était à l'origine, un projet de stèle mortuaire …

 

    3-Le Christ en fil de fer barbelé Cette œuvre, grossièrement symbolique ou lourdement allégorique, juste une idée sans aucune invention formelle (et réalisée probablement par les assistants de l’artiste sur indication sommaire de celui-ci), dont on aperçoit deux éléments sur quatre, baptisée laconiquement « Décor » a été achetée 2 millions d’euros par François Pinault. Il est écrit à son propos : « Adel Abdessemed y pose la question sans réponse de la souffrance humaine (…) un corps constitué de fils de fer barbelé acéré et tranchant, instrument et symbole contemporain de la violence et de la souffrance. L’artiste figure le crucifié comme une immense blessure, concentrant en un seul corps à la fois la torture et la cruauté. »… Ainsi, comme je vous le disais plus haut, torture, violence et cruauté sont ici, par une cynique, grossière et odieuse instrumentalisation à la fois de l’art et de la religion, transformées en gros paquet d’argent…lavé bien entendu de toute saleté malodorante par la bénédiction conjointe des Affaires Culturelles et des Affaires Religieuses.… et qu’importe si ici, la mémoire de Germaine Richier, dont l’artiste n’a évidemment jamais entendu parler, est foulée au pieds. 

 

4-Le Retable d’Issenheim Derrrière François Pinault on peut apercevoir le chef-d’œuvre de Matthias Grünenvald qui est au Musée Unterlinden de Colmar et qui a aujourd’hui 500 ans. Et c’est justement pour commémorer le 500 ème anniversaire du fameux retable, que Jean-Jacques Aillagon , toujours en embuscade derrière son Pinault préféré, a eu cette idée de génie du prêt des 4 paquets de fil de fer , pour les confronter au trésor de l’humanité. : "J'ai appelé la conservation du musée d’Unterlinden, ça s'est fait très rapidement, j'adore monter des coups comme ça » (extrait du Monde du 27 avril article de Florence Evin)… Et voilà, Madame la Ministre, comment, avec ce magistral coup de com’, d’une abjection et d’un irrespect record, votre distingué prédécesseur a fait passer le prix de la ferraille, de 2 millions d’euros à 4 ou 6 millions au profit du milliardaire. C’est beau , c’est grand, c’est sublime, l’art et la culture, ne trouvez-vous pas, quand on arrive à ces sommets d’ineptie, d’impudence , de cynisme, de corruption, de perversité, de grossièreté, d’ignominie,(les mots me manquent), de mépris total pour notre patrimoine et pour toutes valeurs autant morales qu’esthétiques…

   

02-remise-Prix-Duchamp.jpgAlors, je vous pose une question, Madame la Ministre : qu’allez-vous bien pouvoir faire de ce tas d’immondices qu’on vous a légué? Comment allez-vous vous y prendre pour arrêter ce délire, mettre fin à cette gigantesque, odieuse et sinistre farce ? Comment arrêter ce massacre ?

Allez-vous vous contenter, comme vos prédécesseurs, de nier farouchement les évidences ? Continuerez vous d’affirmer qu’il n’y a pas de problème avec les collections des FRAC et FNAC, qu’il n’y a pas d’art officiel, pas d’esthétique d’Etat, pas de formatage des élèves en écoles d’art, pas de collusion entre l’appareil institutionnel et le grand marché ? Continuerez-vous de penser que des artistes comme Paul Rebeyrolle, Velikovic, Antonio Segui, Pat Andrea, par exemple, ne méritent pas une rétrospective à Beaubourg et reconnaissance nationale. Continuerez – vous de dire sans honte que vos « inspecteurs de la création », commissaires et conseillers divers sont les garants de la diversité ? Continuerez vous d’ignorer que l’action institutionnelle n’intéresse que 5% d’artistes agréés et conformes à l’esthétique officielle ? Que 95% des plasticiens de ce pays sont ringardisés, disqualifiés, oubliés, on nom de critères de sélection imposés par le réseaux quasi mafieux dominants? Que 35% des artistes déclarés sont inscrits au RSA ? Que les galeries proposant des produits spéculatifs, des valeurs confirmées et du signe d’appartenance de classe, prospèrent au détriment des galeries prospectives ? Qu’on assiste à une déconstruction systématique des valeurs patrimoniales et du patrimoine lui-même ?… et enfin, continuerez vous d’affirmer que ceux qui révèlent et dénoncent tout cela sont des ringards, aigris, populistes et réactionnaires avec , à leur tête, des gens aussi peu recommandables que Jean Clair, Baudrillard, Luc Ferry, Comte Sponville, Domecq, Claude Levi Strauss et j’en passe ?

Votre tâche est certes herculéenne, puisqu’il s’agit rien de moins que d’assainir le champ de l’art contemporain qui pue encore plus fort que les Ecuries d’Augias. Et pour cela , vous n’êtes pas aidée, semble-t-il par notre gentil président, qui n’a rien trouvé de mieux, pour affirmer son attachement prioritaire à la culture, que d’aller visiter le monumental et notoire fiasco burénien au Grand Palais, et honorer un artiste on ne peut plus anti-culturel, puisque se revendiquant, dès le départ, avec ses bandes verticales, comme anartiste conchiant la culture et l’art bourgeois…Lesquelles bandes verticales sont devenues aujourd’hui signe de reconnaissance et de distinction pour les dits bourgeois, depuis que Vuitton en a décoré ses sacs à main…

Il est pourtant permis de ne pas désespérer totalement de vous, quand on apprend que vous avez annulé le projet FrédéricoMittérandien, particulièrement stupide et démagogique de construire une Villa Médicis en banlieue défavorisée, quand on sait que vous avez écouté les élèves de l’école des Beaux-Arts d’Avignon et viré leur directeur, quand on apprend aussi que vous avez décidé d’arrêter cette énorme foutaise de Monumenta, tout à fait contre-productive en termes de « rayonnement culturel français à l’international », et de consacrer l’argent ainsi économisé, à l’amélioration de la vie et des conditions de travail du plus grand nombre possible d’artistes….Bravo pour cela , Madame la Ministre, car c’est une preuve de votre bonne volonté! 

Mais malgré cela, la question reste entière : par quel bout allez-vous commencer cet énorme chantier ? Car il s’agit rien de moins que de faire accomplir à l’appareil institutionnel, un retournement complet sur lui-même de 180 °, pour qu’il retrouve le sens de la marche, le bon sens en quelque sorte. Quelles consultations ? Comment réintroduire l’expertise des artistes eux-mêmes ? Quels audits ? Quelles enquêtes ? Quelles commissions pour quelles évaluations ? Quelles personnes, quelles instances pour la désignation de quelles autres instances de réflexion? Quelles réformes structurelles, proposées par quels experts nécessairement extérieurs à l’appareil à réformer?... Un vrai casse-tête !  

Un vrai casse-tête , oui, mais si vous ne faites qu’amorcer ce chantier, l’histoire de l’art vous en saura gré, Madame la Ministre, et sera fière de vous,(ceci compensant la honte qu’elle a déjà de vos prédécesseurs ), car enfin : Fluxus fête ses 50 ans ; Marcel Duchamp, cela fait 90 ans que cela dure ; Buren cela va faire 50 ans, etc… Un demi siècle donc au moins que ces références poisseuses bloquent votre appareil et verrouillent la pensée artistique institutionnelle, et tout cela au nom de la contemporanéité avant-gardiste ! Un comble, ne trouvez-vous pas ? 

Alors oui, il faudrait passer à autre chose, permettre la libre éclosion de nouvelles formes pour le 21 e siècle, qui ne soient pas celles imposées par la collusion fonctionnaires et spéculateurs de l’art. Et pour cela nous comptons sur votre contribution, Madame la Ministre. Aussi, merci de nous tenir au courant de tous projets de votre ministère qui iraient dans ce sens.

P.S. : Je n’ai pas votre mail direct ( sauf celui de votre service presse : , Service-Presse@culture.gouv.fr ou bien Lydia.POITEVIN@culture.gouv.fr , mais j’espère, que parmi les quelques milliers de mes lecteurs, quelques - uns vous feront parvenir cette chronique…  

J’aimerais bien aussi que Monsieur Castelain ; directeur de publication du Journal des arts, qui est très attentif , m’a-t-il dit mes chroniques, publie celle-ci dans son journal… histoire de mettre un peu d’ambiance dans le paysage de l’art contemporain français et de réjouir ses lecteurs. 

 

En cadeau : les GérARTs de la FIAC 2012

En marge du Prix Marcel Duchamp cité plus haut, voici un lien vers des photos d’ œuvres encore plus tarées,
http://elolang.tumblr.com/post/34114100963/les-gerart-de-la-fiac

qui ont obtenu les GérARTs 2012 pour leur magistrale insignifiance. ( Le Ministère qui fait chaque année pour 800 mille euros d’achats à la FIAC pour soutenir le cours de l’inepte, n’a acheté aucun de ces GérARTs…c’est surprenant ! )

 

texte que vous pouvez trouver aussi sur le site : www.schtroumpf-emergent.com
et sur Mic Mag, le magazine des médias libres : www.micmag.net/es/voz-libre

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