Pour avoir pu côtoyer presque quotidiennement ses créations dans la ville pendant trois mois, avoir entendu et lu des éloges fervents et des satires acides sur son art et ses défenseurs, nous avons voulu rencontrer enfin, en chair et en os, Pascale Marthine Tayou. Jeudi soir, organisée par les soins du MAC Lyon, une rencontre décontractée, à l'opposé du colloque sur Ben Vautier, a réuni dans l'amphithéâtre du musée une cinquantaine de curieux.
A part la découverte d'un personnage sympathique et dégourdi qui nous a vaguement rappelé la nonchalance de Ben, la discussion d'une heure et demie ne nous a pas appris grand chose sur l'art et il est bien dommage, peut-être à cause du temps si court alloué à cette rencontre. Quelques questions portant sur l'univers de sens des oeuvres elles-mêmes ont permis à l'artiste de longuement parler de sa volonté de désacraliser les lieux de monstration et de sortir l'art du milieu institutionnel en l'intégrant dans l'espace public et le vécu des gens, de sa double position d'exposant et d'exposé, d'artiste et de commissaire d'exposition, de gloser sur l'oeuvre comme construction collective issue surtout du regard porté par le spectateur, de la polysémie de ses installations... Rien de nouveau dans ce discours que la sémiotique/sémiologie a développé depuis les années 1920.
Une seule question pourtant liée à la Colonne Pascale, oeuvre qui a suscité autant de réactions allant jusqu'à sa destruction physique. La réponse de Pascale Marthine Tayou, loin d'être surprenante, confirme nos réflexions du précédent article. Refusant de considérer l'auteur des faits comme "vandale", il l'élève au rang d'artiste. Mais nous avons envie d'aller plus loin, là où Pascale, en dépit de sa formation initiale de juriste, s'est arrêté peut-être par facilité... La reconstruction de la colonne avec les casseroles déformées par leur chute est DONC l'acte d'une création collective, l'oeuvre ultérieure serait ce qu'on appelle dans le cadre du droit à la propriété intellectuelle "une oeuvre plurale": selon article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle on peut la considérer soit comme oeuvre de collaboration soit comme oeuvre composite. Dans les deux cas la propriété sur l'oeuvre finale est partagée et nous nous demandons, avec peu de naïveté tout de même, si Pascale Marthine Tayou a pensé à proposer des droits d'auteur à cet artiste performeur, devenu soudainement son co-auteur.
Une autre question, qui a eu plus l'air d'une promotion que d'une véritable interrogation, soulevée par Thierry Raspail lui-même, a porté sur la prochaine participation de l'artiste, dans le cadre du 1% artistique, au projet Rives de Saône que le Grand Lyon prévoit de démarrer dans un an. Rien de surprenant, encore une fois, car, comme nous le savons tous, le monde de l'art se divise en deux catégories: ceux qui rament et ceux qui tirent les ficelles. Rien de surprenant non plus que, alors qu'il existe un site officiel du 1% artistique où peuvent être publiés les appels à projets (assez pauvre en propositions, on se demande pourquoi), certains artistes pour Rives de Saône auraient déjà été sélectionnés... par qui d'ailleurs?
Après avoir écouté attentivement tout ce qui s'était dit, même si nous avions plusieurs questions en tête, nous avons choisi de poser la plus importante, plutôt méta-artistique, au-delà même de l'art:
- "Vous avez parlé au début de la discussion de votre formation de juriste et vous avez dit que vous avez choisi le métier d'artiste plasticien parce que vous aviez envie de rien faire. Est-ce que vous considérez qu'être artiste plasticien est un métier et, si oui, comment le définiriez-vous?"
Comme la plupart des artistes confirmés, Pascale nous a joué, lui aussi, la carte de la modestie: "il faut surtout ne pas essayer d'être artiste", par ce jeu de mots pour mieux contourner la réponse. Finalement l'essence de son explication: l'artiste plasticien est effectivement un métier et l'artiste est une entreprise soumise aux lois fiscales. Dommage que la médiatrice, maîtresse du micro, ait clôt la discussion trop vite et que nous n'ayons pas eu l'occasion de savoir comment ce métier et cette entreprise se construisent, et comment l'artiste a tiré les ficelles, selon ses propres dires, pour arriver à exposer au MAC Lyon.
Musée des Moulages
3, rue Rachais - Lyon 3ème "Copie-Right" étonnante exposition, où des installations d'art contemporain cotoyent des moulages de statues antiques, réalisée par des étudiants dans le cadre de l’UE libre à l’Université Lumière Lyon 2 intitulée ‘Art contemporain/ Exposition’, sous le suivi de Guillaume Durand, artiste enseignant. L'exposition ouvrira le Samedi 14 Mai 2011 de 10h à 23h30 - le Dimanche 15 Mai 2011 de 10h à 19h. Puis le Vendredi 20 Mai 2011 de 18h30 à 22h - les Samedi 21 Mai 2011 et Dimanche 22 Mai 2011 de 10h à 19h. Visualisez le dossier de presse en cliquant sur le logo noir et blanc ci-dessus. Apperçu de l'exposition:
Le mot d'un historien et critique d'art: l'affaire Andres Serrano par Jean-Luc Chalumeau
La polémique autour d'une photographie d'Andres Serrano intitulée Immersion Piss Christ est particulièrement révélatrice de certains aspects de l'art contemporain.
Rappelons brièvement les faits : à l'issue de la messe des Rameaux, des jeunes gens à lunettes noires, armés de marteaux et tournevis, sont entrés dans l'hôtel de Caumont à Avignon, où la Fondation Yvon Lambert présentait une exposition bizarrement titrée « Je crois aux miracles », et ont notamment tenté de détruire l'œuvre de Serrano (qui date des années '80) tout en molestant un gardien. Ce commando a réagi avec quelque vivacité à la stratégie habituelle de Serrano, partagée avec d'autres vedettes de l'art contemporain tels Damien Hirst et Maurizio Cattelan : provoquer, provoquer encore et provoquer toujours avec la complicité de marchands comme Yvon Lambert. La provocation apparaît d'autant plus efficace, sur le plan médiatique et commercial, que c'est à la religion catholique que l'on s'attaque : Hirst cloue des squelettes sur des croix en plexiglas, Cattelan écrase Jean-Paul II sous une météorite, et l'on se souvient de l'exposition Shit de Serrano en 2008 dans les galeries new-yorkaise et parisienne d'Yvon Lambert. Des merdes donc, dont l'une était fièrement dite «Holy Shit» (merde sainte) par l'artiste parce qu'elle aurait eu pour origine le système digestif d'un prêtre...
Comme d'habitude, l'affaire d'Avignon a opposé les bonnes âmes scandalisées par le blasphème et les défenseurs patentés de la « liberté de création ». Ici, deux remarques : la première est formulée par John Berger dans un article du Monde le 27 avril soulignant que ce n'est pas l'image qui est blasphématoire mais bien son titre : « Pour des millions de personnes qui vivent en dehors du ministère de l'Eglise, le Christ est perçu comme un guide, comme le révélateur d'un monde possible. Il est porteur d'espoir et de piété. C'est cette foi, et non les symboles ou édits ecclésiatiques, qui mérite d'être considérée comme sacrée et, partant, de ne pas être la cible d'insultes gratuites. Les mots « Piss Christ » (et non l'image) équivalent à une telle insulte. » Deuxième remarque, faite par Fabrice Hadjadj dans un excellent article du Figaro du 20 avril : le crucifix plongé dans l'urine et le sang par Serrano n'est qu'un crucifix de pacotille, « relevant de ce double blasphème qu'est le genre saint-sulpicien made in China ». Déjà, en 1919, Paul Claudel n'avait pas de mots assez durs pour condamner le pseudo art sacré de son temps, où il ne voyait que « faiblesse, indigence, timidité de la foi et du sentiment, sécheresse du cœur, dégoût du surnaturel, domination des conventions et des formules (...) avarice, jactance, maussaderie, pharisaïsme, bouffissure... » J'imagine qu'il se serait réjoui de voir un exemple de l'art qu'il détestait plongé dans le pipi.
Provocateur assez hypocrite (affirmant après le scandale qu'il est lui-même chrétien et qu'il n'a « aucune sympathie pour le blasphème »), Serrano n'en a pas moins réalisé une œuvre qui devrait nous intéresser, car, que ce médiocre Christ, trempé dans l'urine et moyennant l'éclairage adéquat, remarque Hadjadj, puisse « nous apparaître avec une telle splendeur ombreuse, voilà qui devrait provoquer l'émerveillement. Et un émerveillement profondément chrétien, parce que lié à ce qui fait l'essence même du christianisme. » Comprenons que le christianisme n'est pas un spiritualisme, mais une spiritualité de l'Incarnation. « Le Verbe s'est fait chair : cela veut dire, par voie de conséquence, insiste Fabrice Hadjadj dans son style inimitable, que le Messie a une vessie, que le Fils de Dieu lui-même a uriné... » Voilà pour Mgr Cattenoz, évêque d'Avignon, qui a qualifié l'œuvre d'ordure. Voilà pour ceux qui rejettent en bloc l'art contemporain sans vouloir essayer de comprendre.
Mais l'attitude de ceux qui acceptent systématiquement et glorifient tout ce qui porte l'étiquette « art contemporain » n'est pas meilleure : l'ouverture à tout vent interdit l'hospitalité véritable écrit Fabrice Hadjadj qui rappelle par ailleurs aux démolisseurs d'Avignon que l'accusation de blasphème est « précisément celle dont on s'est servi pour condamner Jésus à mort : c'est une tendance pharisaïque à se poser en grand prêtre omniscient. » Allons ! Cette nouvelle péripétie dans la bataille de l'art contemporain devrait inciter les militants des deux camps à un peu de réflexion (on peut rêver). De toute façon, disait le Père Couturier au début du siècle dernier, « à ne pas participer à l'art de son temps, on se retire de la vie. »
Jean-Luc Chalumeau, Paris 12.05.2011